Les Ecores, un quartier de marins à découvrir

LES ECORES - Huile sur toile de 1839 - Eugène ISABEY

Une falaise escarpée, une pente accore, (écore) dégringolant dans la Touques qui vient ronger ses fondations, provoquant des éboulements réguliers aux grandes marées. Mais aussi un véritable abri entre Dives et Honfleur pour venir se réfugier et décharger sa cargaison de poissons ou de produits de Scandinavie, d'Angleterre à destination de Pont l’Évêque ou Lisieux ; puis charger en échange des tonneaux de cidre fort réputé. C'est là, entre l'estuaire de la Touque et le débouché du ruisseau de Callenville que naît Trouville, autour d'une communauté de gens de mer. Marins toujours, pêcheurs souvent, entre-deux, contrebandiers.

 

Alors que les bateaux revenus de la haute-mer viennent s'échouer au pied de la falaise des Ecores, les mareyeurs achètent le produit de la pêche. Transvasant le poisson dans les paniers qui leur permettront l'écorage de la marée. Cette comptabilité du poisson sous la surveillance des autorités municipales a sans doute contribué aussi à nommer la friable falaise creusée par le courant du fleuve, puis le quartier de pêcheur et de marins qui s'y édifia. Flaubert décrit le quartier des Ecores comme « une falaise surplombant des bateaux. » Les barques de pêches des villages voisins dont le tonnage augmente, prennent l'habitude de s'abriter à Trouville.

 

Longtemps, Trouville fut l'avant poste de Touques, la maison hautaine des « gabelous » collecteurs de la « gabelle », l'impôt sur le sel, s'y trouve encore. Mais l'ensablement du lit de la rivière fit perdre sa vocation marine et son importance à la commune. C'est sous Louis XV, vers 1750, que le site de Trouville prend son essor. L'église paroissiale, l'actuelle chapelle Saint Jean, domine l'activité du port naissant. Rapidement, la cavée de Callenville où le village est niché autour de son clocher ne suffit plus (route d'Aguesseau). Il faut s'étendre. C'est en surplomb de leurs navires que les marins vont fixer leur nouveau foyer. A l'écart du vieux village, mais à proximité de l'échouage. Le chemin des Écores relie ce nouveau quartier qui se déploie autour de la rue Tarale, où se place le marché, à la vieille église. La sente qui ondule débouche aux deux bouts du port (entre marché aux poissons et pont des Belges, entre Notre Dame des Victoires et chapelle Saint jean) tandis que s'élèvent des quais qui ne cesseront de s'élargir. Les bancs des « menteux » s'y installent à demeure.

 Alexandre Dumas, avec quelques autres écrivains et peintres (dont Isabey et Mozin), dès 1831 met le site à la mode. Le roi Louis-Philippe et sa famille, Orléans, Joinville, Paris, le consacre comme la « reine des plages ». En février 1848, le roi déchu, y cherchera un passage pour l'Angleterre. C'est sous le Second empire et les débuts de la III° République que le quartier prend son extension définitive. Chaque mètre carré de jardinet et de courette servant à édifier les logements modestes des équipages déboulant vers la berge. Le statut social s'affiche par le nombre de portes et de fenêtres dont chacun dispose (une porte, une fenêtre au rez de chaussée pour un matelot). Les maisons de patrons se reconnaissant par leur façade un peu plus large (une porte, deux fenêtres), ainsi que celles encore plus grandes des armateurs. Les parcelles proches de l'estuaire vont accueillir les maisons de villégiature aux codes architecturaux bien différents, nourris du romantisme ascendant.

 

Le quartier des Écores demeure l'un des derniers exemples de logement de marins du 19ème siècle aussi homogène et qui en a conservé toutes les caractéristiques. Habitat populaire délimitant un vaste quartier jamais dénaturé. Cette cité de pêcheurs, développé lors de la Monarchie de Juillet, en a gardé l'esprit urbanistique libéral, plein de fantaisie et d'accidents comme le cours de la Touques. L'exact contraire de Deauville, sa petite sœur bonapartiste, émanation d'un régime politique dirigiste, qui privilégie la ligne droite et le point de vue monumental. Les Ecores, un quartier de marins, nourrit des fortunes de mer, dont les habitants continuent à perpétuer la tradition, qu'il faut visiter et qu'il convient de préserver.

 

Max Armanet

Les 3 panneaux affichés rue des Ecores
Histoire du quartier
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